Joues-galettes
- Par
- Annick Daigneault, Présidente-Fondatrice de "Sur le Fil"
Fils I n’est pas un athlète du spectre de l’autisme. Il ne peint pas d’œuvres impressionnistes, se fout du nom des constellations et ne reconnaît pas les notes que je fausse quand je lui fredonne Le Petit Bonheur.
Je suis Annick Daigneault, Co-Réalisatrice du documentaire « Les Pieds en Haut », Présidente-Fondatrice de « Sur le Fil », Fondation pour l’Inclusion et la neurodiversité.
Maman deux fois, boulimique sociale, catalyseur et philanthrope, je bosse actuellement en tant que coordo du programme « Ma Vie en Premier », une initiative novatrice inspirée de l’approche résilience et leadership implantée par le Centre des Jeunes l’Escale dans les trois écoles secondaires de Montréal-Nord.
« Unique, imparfait et magnifique »
L’un de mes deux fils a aujourd’hui 9 ans. Adorable enfant dynamo, volontaire et rieur, fils I est l’un des premiers enfants autistes diagnostiqués à être entré en maternelle à l’école alternative Rose-des-Vents.
Fils I n’est pas un athlète du spectre de l’autisme. Il ne peint pas d’œuvres impressionnistes, se fout du nom des constellations et ne reconnaît pas les notes que je fausse quand je lui fredonne Le Petit Bonheur. Il a communiqué avec des signes de base pendant 4 ans et a fait des centaines de crises spectaculaires dans autant de lieux publics. Il a un spring dans le coude et sème des cœurs de pomme derrière des meubles lourds (avec des tas d’autres trucs que je cherche tout le temps) et étampe ses «je t’aaaaaime» sur nos joues-galettes.
Il ressemble à plusieurs autres (humains!) enfants : unique, imparfait et magnifique. Je ne suis ni désolée de son état ni en croisade pour le normaliser ou l’en libérer.
L’autisme est une partie de ce qu’est mon fils. L’autisme ne le définit pas.
J’aime mes enfants sans à priori.
Le petit hardi et le longiligne si doux.
Follement.
« Well, ben c’est quoi l’autisme en fait? »
À l’annonce du diagnostic, je n’ai pas vécu de deuil et je n’ai pas ressenti de désespoir.
D’une part, parce que je n’avais aucune idée de ce qu’était l’autisme. Puis de l’autre, parce que je ne m’étais pas gossé, à contrario de pas mal d’idéaux dans ma vie, dans la zone fantasme de ma maternité, un enfant parfait.
Oh! Certes, après les deux cents questions et les longues périodes de jeux avec des pédopsy qui dodelinent de l’extrémité supérieure du corps en nommant des caractéristiques qu’on trouve à priori juste un peu weird, j’ai pleuré un coup.
Puis regardant chacun des spécialistes assis autour de la table dans les yeux, j’ai demandé: well, ben c’est quoi l’autisme en fait? Ça ne change pas mon enfant ça docteur? Mais ça explique certains de ses mystères? Avez-vous des lectures et des exemples de personnes autistes qui réussissent?
De par ma nature et/ou de par ma naïveté, j’ai reçu, écouté, questionné, sans nier, les émotions qui montaient, en bondissant sur les possibles, le coeur ouvert à l’humain que la vie m’avait offert.
La déception ou le deuil, face au diagnostic ou à la différence de son enfant, vient beaucoup de ce que l’on a osé rêver sans lui, pour lui. En amont de sa naissance, et tous les jours qui nous lient à son p’tit soleil, on lui fait un tracé lumineux, sur un sentier qu’on présume idéal.
Avec ce que l’on porte d’histoires, d’espoirs et d’échecs depuis notre propre genèse, on souhaite secrètement, ou de manière plus exubérante, qu’il torche l’espèce humaine au complet! Qu’il nous arrive avec un Q.I de physicien, la face de DiCaprio, le swing d’Eugénie Bouchard, la plume de machin, l’oeil de lynx, la cuisse de v’lours; Bref, le kit du vivant idéal-maximal, du mini-nous dans un format irrésistible, un modèle forgé dans du standard humain neuro-parfait!
On souhaite surtout, hors mis le bataclan utile mais un peu futile, que sa vie soit douce.
Sans heurt, ni fracas.
Hum.
Mais voilà, parfois, les enfants auxquels on offre le souffle arrivent avec une autre proposition.
Ils débarquent dans nos vies avec leurs petites valises. Ils sont, font, rêvent, affirment, confrontent, perturbent.
Ils troublent le «pedigree» de l’espèce et viennent foutre une baffe à l’égo humain et au nôtre.
On a alors le choix de nos réactions : la déception, la résignation, la colère, le refus.
Ou laisser entrer le vent.
Assumer de vivre pour toujours avec l’incertitude, de se lancer et d’aimer fort et immense pareil.
Voilà ce que je choisis.
C’est ce qu’entre autre, évoluer avec mes enfants m’a appris: aimer sans se projeter, aimer sans condition.
Ainsi, depuis la naissance de fils I, j’ai rencontré des tonnes de spécialistes.
« Évoluer avec lui »
Puis un jour, alors que le papa et moi étions encore un duo solidaire, nous avons fait le choix de sortir tout ce qui forçait la normalisation de notre enfant de nos vies, pour la vivre justement la vie pour apprendre à connaître la source des actions et réactions de notre fils et pour se connecter à son unicité!
Depuis, mon seul focus est d’apprendre à connaître mon fils, les motifs de son état, les sources de ses comportements et ses caractéristiques (et pas que ses symptômes), de l’outiller à partir d’où il se trouve, de l’inspirer, d’évoluer avec lui et de lui donner de la place sans tenter d’en faire un neurotypique. Sans tirer sur la fleur pour qu’elle pousse…
En acceptant aujourd’hui que ma seule conversation de la journée avec mon fils puisse durer 33 minutes autour d’onomatopées qui deviennent des personnages: «Elllll Pruuuuuuuuuuundiiiiiii!» On solidifie nos tissages. On rit toutes dents dehors. On se tombe dans les bras complices.
Chaque jour, malgré les défis, la magie fait sa job de paillettes. Avec mes deux fougues, on évolue en trio, les pattes au présent, le vulnérable affirmé, capable de pardon, de folies et d’amour total, les bras ouverts au touttt de l’un et de l’autre. Et ravie et reconnaissante, je découvre chaque jour une route que seul ces petits improbables savent tracer.